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1.
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L'adjectif cognitif sert de terme spécificateur en sémiotique, en renvoyant à diverses formes d'articulation — production, manipulation, organisation, réception, assomption, etc. — du savoir*.
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2.
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Hiérarchiquement supérieure à la dimension pragmatique* qui lui sert de référent* interne, la dimension cognitive du discours se développe parallèlement avec l'augmentation du savoir (comme activité cognitive) attribué aux sujets* installés dans le discours*. Si la dimension pragmatique — avec les enchaînements d’actions* programmés qui lui sont propres — n'appelle pas nécessairement la dimension cognitive, la réciproque n'est pas vraie : la dimension cognitive, définissable comme la prise en charge, par le savoir, des actions pragmatiques, les présuppose. A la limite, d'ailleurs, la dimension pragmatique peut n'être, dans un discours donné, que le prétexte d'activités cognitives, comme il advient souvent dans certains courants de littérature moderne. La prolifération — sur les deux axes de l'être* et du faire* — des « Que sais-je ? », « Qui suis-je ? », « Qu'ai-je fait ? », « En quoi ai-je réussi ? », etc., va de pair avec l'atrophie de « ce qui se passe », de la composante pragmatique. L'expansion, dans les discours narratifs, de la dimension cognitive, sert alors de transition entre le figuratif* et l'abstrait* (entre lesquels n'existe aucune solution de continuité) : on aboutit ainsi à des discours apparemment moins figuratifs (ou caractérisés par un autre type de figurativité), à savoir des discours cognitifs (cf. infra 6).
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3.
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L'autonomie de la dimension cognitive est rendue encore plus manifeste par le fait qu'elle développe son propre niveau d'activités cognitives.
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-a) Le faire* cognitif correspond à une transformation* qui modifie la relation d'un sujet à l'objet-savoir, en établissant soit une disjonction*, soit une conjonction*. Les états* cognitifs — ou positions cognitives — obtenus alors grâce au jeu de l'être* et du paraître*, s'articulent, conformément au carré* sémiotique des modalités véridictoires*, en vrai/ faux/secret/mensonge. Quant à la transmission elle-même de l'objet de savoir, elle peut être qualifiée de simple, au moins dans une première approche : il s'agira, en ce cas, du faire informatif*, qui, compte tenu du schéma de la communication*, apparaîtra soit comme faire émissif*, soit comme faire réceptif*. Le plus souvent, cependant, sinon toujours le transfert du savoir est modalisé du point de vue véridictoire eu égard à l'axe destinateur/destinataire, on aura respectivement le faire persuasif* et le faire interprétatif* qui mettent en jeu une relation fiduciaire* intersubjective. Étant donne la structure à la fois contractuelle* et polémique* des discours narratifs, l'introduction d'un faire persuasif appelle un faire interprétatif correspondant : dans la mesure où la narration fait intervenir deux sujets avec, alternativement, leurs deux faire persuasif et interprétatif, elle pourra faire jouer, par exemple, cette structure bien connue qui met en scène le fripon et la dupe (swindler tales) où les deux positions actantielles sont interchangeables et le récit sans fin. Bien entendu, les deux faire — persuasif et interprétatif — peuvent être attribués, par syncrétisme*, à un seul et même acteur* (le sujet de l'énonciation, par exemple) qui cumule alors les rôles actantiels d'énonciateur* et d'énonciataire.
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-b) On appelle sujet* cognitif celui qui est doté par l'énonciateur d'un savoir (partiel ou total) et installé par lui dans le discours. Un tel actant* permet de médiatiser la communication du savoir entre énonciateur et énonciataire sous des formes très variables (selon qu'il est censé savoir ou ignorer beaucoup ou peu de chose). Au niveau actoriel, le rôle de sujet cognitif peut se manifester en syncrétisme avec, celui du sujet pragmatique*; inversement, le sujet cognitif peut être différent du sujet pragmatique et donner lieu à l'apparition d'un acteur autonome, tel l'informateur*; en certains cas, enfin, il sera simplement reconnaissable, comme position au moins implicite, Sous la forme de l'observateur*.
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-c) Dans le cadre du schéma narratif*, on pourra opposer, d'une certaine façon, le parcours du Destinateur., qui se déroule sur la dimension cognitive, à celui du Destinataire-sujet, qui s'effectue surtout sur la dimension pragmatique. Le Destinateur, en effet, se manifeste comme celui qui, au début du récit, communique le programme à réaliser sous forme de contrat*; il lui revient, à la fin, d'exercer la sanction* cognitive, par la reconnaissance* du héros* et la confusion du traître*. Quant au Destinataire-sujet, même s'il se caractérise surtout par le faire pragmatique, il s'inscrit lui aussi, par contrecoup, du fait de son rapport au Destinateur, sur la dimension cognitive l'épreuve glorifiante*, qu'il réussit grâce à son pouvoir-faire persuasif (figuré par la marque*) peut être considérée comme une performance* cognitive (appelant évidemment une compétence* cognitive correspondante).
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4.
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A partir de la définition de l'espace*, comme le lieu de la manifestation de l'ensemble des qualités sensibles du monde, on peut rendre compte du concept d'espace cognitif. En effet, les relations cognitives entre les sujets — mais aussi entre les sujets et les objets — sont des relations situées dans l'espace (cf. le voir, le toucher, l'entendre, etc.). On peut dire, de même, en prenant en considération le parcours génératif* du discours, que ces relations cognitives se trouvent, à un moment donné, spatialisées, qu'elles constituent entre les différents sujets des espaces proxémiques* qui ne sont que des représentations spatiales des espaces cognitifs. Dans le cadre de la sémiotique discursive, on parlera ainsi de l'espace cognitif global qui s'institue, sous forme d'un contrat implicite, entre l'énonciateur et l'énonciataire, et caractérisé par un savoir généralisé sur les actions décrites; cet espace pouvant être, à son tour, soit absolu, lorsque les deux protagonistes du discours partagent la même omniscience sur les actions relatées, soit relatif, quand l'énonciataire n'acquiert le savoir que progressivement. On pourra également faire état d'espaces cognitifs partiels, lorsque l'énonciateur débraye la structure de l'énonciation* et l'installe dans le discours ou quand il délègue son savoir à un sujet cognitif.
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5.
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Le débrayage* cognitif se réalise de deux manières :
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-a) Le débrayage cognitif énoncif est l'opération par laquelle l'énonciateur établit un écart entre son propre savoir et celui qu'il attribue aux sujets installés dans le discours : cette délégation* du savoir s'opère alors au bénéfice des sujets cognitifs.
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-b) Le débrayage cognitif énonciatif intervient, par exemple, lorsque le narrateur*, installé dans le discours, ne partage pas le même savoir que l'énonciateur qui le délègue. Dans l'un et l'autre cas, la position cognitive de l'énonciateur, caractérisée par les modalités véridictoires que sont le vrai, le faux, le secret et le mensonge, diffère de celle des actants de la narration ou de celle du narrateur.
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6.
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En tenant compte de l'activité cognitive de l'énonciateur (spécifiée, entre autres, par le faire persuasif) et de celle de l'énonciataire (avec son faire interprétatif), on peut essayer d'esquisser une typologie* des discours cognitifs, en distinguant :
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-a) les discours interprétatifs, comme la critique littéraire, l'histoire en tant qu'interprétation des séries d'événements, l'exégèse, la critique des arts (peinture, musique, architecture, etc.);
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-b) les discours persuasifs, tels ceux de la pédagogie, de la politique ou de la publicité;
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-c) les discours scientifiques* qui jouent à la fois sur le persuasif (avec tout le jeu de la démonstration) et l'interprétatif (exploitant les discours antérieurs considérés alors comme discours référentiels), avec le savoir-vrai comme projet et objet* de valeur visé.