IMAGINAIRE SYMBOLIQUE
 
ESPACE (voir Orientation)
 
    L'espace, inséparable du temps, est à la fois le lieu des possibles - en ce sens il symbolise le chaos des origines - et le lieu des réalisations - il symbolise alors le cosmos, le monde organisé. Il bouillonne toujours de ces énergies dissipatives, comme dit aujourd'hui Prigogine, d'où résultent toujours d'imprévisibles ordres nouveaux. L'espace est comme une étendue incommensurable, dont on ne connaît pas le centre et qui se dilate dans tous les sens ; il symbolise l'infini où se meut l'univers et il est symbolisé par la croix à trois dimensions et six directions, ainsi que par la sphère, mais une sphère en mouvement et d'expansion illimitée. Il englobe ainsi l'ensemble de l'univers, avec ses actualisations et ses potentialités.
    Au sens de situation d'un objet ou d'un événement, l'espace symbolise un ensemble de coordonnées ou de repères, qui constitue un système mobile de relations, a partir d'un point, d'un corps, d'un centre quelconques, rayonnant sur x dimensions, réduites pratiquement à trois axes de deux directions chacun : est-ouest, nord-sud, zénith-nadir ; ou encore, droite-gauche, haut-bas, avant-arrière ; à quoi s'ajoute le temps, comme mesure du mouvement (avant-pendant-après) et des vitesses (plus-égal-moins). Ainsi l'espace symbolise de façon générale le milieu, extérieur ou intérieur, dans lequel tout être, individuel ou collectif, se meut.
    On parle aussi d'espace intérieur, pour symboliser l'ensemble des potentialités humaines sur la voie des actualisations progressives, l'ensemble du conscient, de l'inconscient et d'imprévisibles possibles.
     L'astrologie, dite scientifique ou non, repose aussi sur le sens de mystérieuses connexions spatiales qui existent entre les planètes, les étoiles et les galaxies. L'astronomie la plus rigoureuse elle-même ne va pas sans engendrer une stupeur mêlée d'effroi devant cet espace qui dépasse tout calcul, et n'arrive jamais à une limite où l'étendue s'arrête. Les cosmonautes qui ont marché sur la lune n'ont pas caché leur émotion quasi religieuse et ils ont compris, comme disait Pascal, que l'homme et la terre sont sans proportion avec l'immensité de l'espace.
     L'espace joue aussi le rôle d'une idée-force dans l'esthétique universelle. Pour n'en donner qu'un exemple, l'espace est perçu au Japon comme l'arche du mystère. Et ce mystère s'offre à l'homme, pour qu'il y édifie et organise ses constructions. Il ne peut les inscrire dans l'espace, sans un sentiment de respect pour tout ce qui est sacré, ni sans un souci de purification des pensées et des corps qui utilisent cet espace. Le temple shintoïste, le jardin japonais, avec ses rochers, ses rivières et ses arbustes, sont des réductions du cosmos, un passage du chaos des potentialités à l'ordre des actualisations, tant au plan matériel que spirituel. La traversée du temple ou du jardin est une marche sacrée, ascétique et mystique, dans l'espace, au cours de laquelle s'affirme et grandit le désir de l'Être, au fur et à mesure que s'établit en soi le vide de la pureté mentale, affective et imaginative. Et jamais, quel que soit le point d'où parte le regard, n'est vue la totalité de l'espace : ainsi l'infini est symbolisé, mime sur une surface limitée. Si les architectes de tous les pays, y compris le Japon, avaient gardé ce sens sacré de l'espace, de quelles horreurs notre planète ne serait-elle pas préservée et de quelle beauté revêtue !
 
 
hutte
 
    La hutte symbolise l'habitation du nomade, du voyageur qui n'appartient pas à une cité permanente ; elle convient au chrétien exilé de sa patrie, vivant dans une terre étrangère*. La patrie signifiant le ciel, et la terre étant étrangère, la hutte désigne l'existence corporelle et terrestre. La hutte, faite de branchages ou de roseaux, en signifie la précarité : image de la fragilité et de l'instabilité. Son exiguïté convient à la solitude et à la contemplation.
    C'est pourquoi Guillaume de Saint-Thierry, évoquant les ermites de la Chartreuse, écrira dans sa lettre aux Frères du Mont Dieu : Comme les Hébreux, c'est-à-dire comme des voyageurs de passage, vous, qui êtes spirituels, n'ayant pas ici-bas de cité permanente, et cherchant la cité future, bâtissez-vous… de petites huttes.
    La hutte joue aussi un rôle initiatique, celui d'un parvis introduisant dans l'autre monde. C'est l'équivalent de la gueule ou du ventre du monstre*, de la tarasque et du dragon, de l'urne et de la jarre funéraires, de la cabane du bûcheron-anthropophage, où l'ogre attend le Petit Poucet pour le dévorer, lui et ses sept frères. L'accès à l'autre monde passe par la mort et la putréfaction. Mais les initiés sortiront de la hutte animés d'une vie nouvelle, nantis de mystérieux trésors, symboles des richesses immatérielles de l'initiation. Ils sont alors maîtres de l'espace par les bottes de sept lieues, maîtres des hommes par la poule aux œufs d'or, maître de l'invisible par la clé secrète (SERH, 103,104,119)
 
 
MAISON
 
    Comme la cité, comme le temple*, la maison est au centre du monde, elle est l'image de l'univers. La maison traditionnelle chinoise (MING-T'ANG) est carrée ; elle s'ouvre au soleil levant, le maître s'y tient face au sud, comme l'Empereur dans son palais ; l'implantation centrale de la construction s'effectue selon les règles de la géomancie*. Le toit est percé d'un trou pour la fumée, le sol d'un trou pour recueillir l'eau de pluie : la maison est ainsi traversée en son centre par l'axe qui joint les trois mondes. La maison arabe est aussi carrée, fermée autour d'une cour carrée, qui comporte en son centre jardin* ou fontaine* : c'est un univers clos à quatre dimensions, dont le jardin central est une évocation édénique, ouvert en outre exclusivement à l'influence céleste. La yourte mongole est ronde, en relation avec le nomadisme, car le carré orienté implique la fixation spatiale ; le mât central, ou seulement la colonne de fumée, y coïncide avec l'Axe du monde.
    Il y a des maisons de type particulier - proches à vrai dire du temple - qui expriment plus précisément encore ce symbolisme cosmique. Ainsi des maisons communes qui, en diverses régions (Asie orientale et Indonésie notamment), occupent le centre de la cité, à l'intersection des axes cardinaux ; ainsi de la loge de la danse du soleil chez les Sioux, case ronde comme la yourte, pourvue d'un pilier central, qui évoque non seulement le cycle solaire, mais aussi la manifestation spatiale et, par ses vingt-huit piliers reliés à l'axe, les mansions lunaires ; ainsi des loges des sociétés secrètes, en Occident, où le caractère cosmique de la loge est nettement affirmé, et où le fil à plomb tient lieu d'axe ; en Chine, où la loge est carrée, à quatre portes cardinales, chacune correspondant à l'élément et à la couleur de son Orient ; le centre, correspondant à l'élément Terre, est occupé par la Cité des Saules ou Maison de la Grande Paix, située à l'aplomb de la Grande Ourse et figurant le séjour de l'immortalité ; ainsi surtout du Ming-t'ang chinois, que Granet appelle Maison du calendrier, mais qui est surtout Salle de la lumière. Le Ming-t'ang fût peut-être originellement circulaire, et entouré d'un fossé en forme d'anneau de jade, le Pi-yong : réceptacle donc de l'influence céleste au centre du monde chinois ; il est ensuite carré comme la terre (soit à cinq salles en croix, soit à neuf salles disposées comme les neuf provinces), couvert d'un toit de chaume rond comme le ciel, supporté par huit piliers correspondant aux huit vents et aux huit trigrammes. Le Ming-t'ang comporte quatre côtés orientés vers les quatre saisons, percés chacun de trois portes (soit au total douze portes correspondant aux douze mois - aux douze signes du Zodiaque - comme dans la Jérusalem céleste). La circumambulation de l'empereur dans le Ming-t'ang détermine les divisions du temps et assure l'ordre de l'empire, en le conformant à l'ordre céleste.
 
    Si le Taoïsme construit divers palais - correspondant à des centres subtils - à l'intérieur du corps humain, l'identification du corps lui-même à la maison est courante dans le Bouddhisme. C'est, dit le Patriarche Houei-nêng, une hôtellerie, entendant par là qu'il ne peut constituer qu'un refuge temporaire. Dans la Roue de l'Existence tibétaine, le corps est figuré par une maison à six fenêtres correspondant aux six sens. Les textes canoniques expriment la sortie de la condition individuelle, du cosmos, par des formules telles que le bris du toit du palais, ou du toit de la maison (dômes*). L'ouverture du sommet du crâne par où s'effectue cette sortie (brahmarandhra) est d'ailleurs appelée par les Tibétains le trou de la fumée (cooH, COOD, FRAL, GOVM, GRIL, GUET, HElls, LIOT, SCHIP, WARH).
    En Egypte, on appelait maisons de vie des sortes de séminaires religieux, rattachés à des sanctuaires, où les scribes recopiaient les textes rituels et les figures mythologiques, où se formaient aussi médecins, chirurgiens, trépanateurs, pendant que le personnel du temple vaquait à ses occupations. Chez les Dogons, en Afrique Noire, Marcel Griaule (cité et commenté dans CHAS, 246) a décrit la grande maison familiale (comme représentant)... la totalité du Grand Corps Vivant de l'Univers.
 
    Il semble que, dans la conception irlandaise de l'habitation, la maison symbolise l'attitude et la position des hommes vis-à-vis des puissances souveraines de l'Autre Monde. Le palais de la reine et du roi de Connaught, AililI et Medb, est circulaire (le cercle est un symbole céleste) et il comprend sept compartiments, ayant chacun sept lits ou sept chambres, disposés symétriquement autour d'un feu central. Le toit en forme de dôme renforce encore les possibilités de communication avec le ciel. La maison du roi est donc ainsi à la fois une image du cosmos humain et un reflet du ciel sur la terre.
 
    La maison signifie l'être intérieur, selon Bachelard ; ses étages, sa cave et son grenier symbolisent divers états de l'âme. La cave correspond à l'inconscient, le grenier à l'élévation spirituelle (RACE, 18).
    La maison est aussi un symbole féminin, avec le sens de refuge, de mère, de protection, de sein maternel (BACV, 14).
    La psychanalyse reconnaît en particulier, dans les rêves de la maison, des différences de signification, selon les pièces représentées, et correspondant à divers niveaux de la psyché. L'extérieur de la maison, c'est le masque ou l'apparence de l'homme ; le toit, c'est la tête et l'esprit, le contrôle de la conscience ; les étages inférieurs marquent le niveau de l'inconscient et des instincts ; la cuisine symboliserait le lieu des transmutations alchimiques, ou des transformations psychiques, c'est-à-dire un moment de l'évolution intérieure. De même les mouvements dans la maison peuvent être sur le même plan, ascendants ou descendants, et exprimer, soit une phase stationnaire ou stagnante du développement psychique, soit une phase évolutive qui peut être progressive ou régressive, spiritualisante ou matérialisante.
 
 
COSMOGONIE
 
    Récit de la création* du monde, riche en symboles. Chaque religion, chaque aire culturelle possède ses théories et ses mythes sur l'origine de l'univers ou la naissance du monde. L'irruption de l'être hors du néant, ou l'apparition soudaine du cosmos, ne peut faire l'objet d'une histoire, puisqu'elle est par définition sans témoin. La seule réalité perceptible est le fruit de la création, la créature, non la création elle-même. Toute origine est sacrée, a fortiori l'origine absolue. Sa description ne peut que prendre la forme d'un mythe*, imaginé par l'homme ou révélé par le Créateur lui-même. Mais ces mythes temporalisent, par la nécessite même de l'expression, ce qui échappe au temps par la nécessité même de l'existence. Ils humanisent obligatoirement ce qui est surhumain. Ils ne peuvent qu'être trompeurs et cependant ils ne sont pas dénués de sens, ni de vérité. Ils renseignent sur l'homme et sur ses façons de concevoir l'irruption de l'être et de la vie. Les cosmogonies traduisent un sentiment universel de transcendance, c'est-à-dire l'attribution des origines du cosmos à un ou à des êtres extra-cosmiques. Ce n'est d'ailleurs qu'une manière de transformer le problème des origines en un autre problème, celui de la transcendance. C'est pourquoi l'on peut dire qu'ils parlent essentiellement le langage interne des symboles, qui n'a pas de traduction rationnellement univoque.
    Certaines cosmogonies partent d'ailleurs, non pas du néant, mais du chaos. Les eaux, la terre, les ténèbres préexistent de toute éternité. Mais une énergie intervient, d'où jaillissent l'ordre et la lumière. Le problème est alors, moins celui des origines que celui du principe organisateur. Ce principe est le plus souvent identifié au souffle, à l'esprit, à la parole. Mais on ne peut entrer ici dans l'analyse de toutes les cosmogonies. Du point de vue général de leur symbolisme, disons seulement qu'elles correspondent à un schéma humain de l'action ; elles constituent un modèle suivant lequel les hommes conçoivent le déploiement de l'énergie et suivant lequel ils s'efforcent d'accomplir leurs propres projets : La cosmogonie, écrit Mircea Eliade, est le modèle exemplaire de toute espèce de faire : non seulement parce que le Cosmos est l'archétype idéal à la fois de toute situation créatrice et de toute création - mais aussi parce que le Cosmos est une œuvre divine ; il est donc sanctifié dans sa structure même. Par extension, tout ce qui est parfait, plein, harmonieux, fertile, en un mot : tout ce qui est cosmisé, tout ce qui ressemble à un Cosmos, est sacré. Faire bien quelque chose, œuvrer, construire, créer, structurer, donner forme, informer, former, tout ceci revient à dire qu'on amène quelque chose à l'existence, qu'on lui donne vie, et, en dernière instance, qu'on le fait ressembler â l'organisme harmonieux par excellence, le cosmos. Or, le cosmos, pour le répéter, est l'œuvre exemplaire des dieux, c'est leur chef-d'œuvre (souD, 474-475).
 
    C.G. Jung observe, d'autre part, que toute cosmogonie implique une certaine notion de sacrifice : donner forme à une matière, c'est participer à l'énergie primordiale pour la modifier. Ce qui ne va pas sans lutte : les cosmogonies s'accompagnent toujours de théomachies (combats de dieux), de gigantomachies, de bouleversements gigantesques, où dieux et héros se démembrent, s'assomment et s'entre-tuent soulèvent des chaînes de montagnes et roulent les océans entre les abîmes. L'ordre et la vie ne naissent que du chaos et de la mort : ces contraires sont des couples jumeaux*, ou les deux faces, diurne et nocturne, de l'être contingent. Tout progrès s'appuie sur une destruction. Changer, c'est à la fois naître et mourir. C'est un autre aspect des cosmogonies, cette loi générale que le sacrifice régénère. Sous une forme souvent cruelle, barbare et monstrueuse, elles illustrent et symbolisent cette loi énergétique.
 
 
j. chevalier - a. gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont